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DÉBUTS EN TERRES LOINTAINES (1793-1813)

DÉBUTS EN TERRES LOINTAINES (1793-1813)

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DÉBUTS EN TERRES LOINTAINES (1793-1813)
NEUTRES DE L’OCÉAN INDIEN

Sucre et Raffinement

Henri Prentout a retracé la vie de l’Ile de France sous l’Empire et son
gouverneur Decaen (1803-1810). Son maître-livre jette une lumière vive
sur ce que durent être les activités de Johann Jacob Wiehe durant cette
période : éloignée de la métropole, le plus souvent isolée par le blocus
maritime britannique, la colonie vécut des temps difficiles; l’agriculture
qui devait lui octroyer une auto-subsistance et au-delà, comme l’avait préconisé
jadis l’intendant Pierre Poivre (1766-1772), ne s’était guère développée,
cédant le pas devant les facilités spéculatives de la traite négrière
avec Madagascar ou la côte des Swahili, des cultures de rapport (indigo,
café, muscade) qui pourtant échouèrent toutes lamentablement et surtout
du « commerce d’Inde en Inde ».
Le commerce légal était menacé par l’étau anglais, desserré quelquefois
par la guerre de course; les navires ne pouvaient être correctement
entretenus faute de matières premières : pénurie de bois après le défrichement
de l’île, absence de cuivre et de cordages, alors même que le
commerce d’Inde en Inde et la guerre de course demandent des rotations
fréquentes et des vaisseaux rapides et bien gréés.
Les puissances maritimes neutres (Danemark, Prusse, Suède et Russie),
réunies dans la peu durable Seconde Ligue de Neutralité Armée
(1800-1801), tirèrent d’abord profit de ce commerce enfreignant toute
légalité – du moins celle imposée de force dans l’Océan Indien par les
britanniques. La situation devint plus tendue avec l’accroissement du blocus
en 1806 et la bataille de Copenhague (août-septembre 1807) par laquelle
la Grande-Bretagne réduisit les velléités d’indépendance du Danemark
en Europe et aux Indes : le très lucratif commerce des Mascareignes avec
Tranquebar cessa et le comptoir passa de fait sous domination
britannique. A dire vrai, l’envoyé officieux de la France à Tranquebar
en 1805-1806, Morenas, s’inquiétait, depuis quelques temps déjà, du
double-jeu mené par les Danois et de leur préférence marquée pour les
Britanniques.
L’épisode durant lequel Matthew Flinders, explorateur britannique de
l’Australie (à qui il donna son nom), reste détenu à l’Ile de France par le
gouverneur Decaen est révélateur du rôle d’intermédiaires politiques qu’y
tiennent occasionnellement les Danois : il tresse, dans ses mémoires, un
vibrant hommage au Consul de Danemark à Port-Louis, franc-maçon
comme lui, et qui lui évite de trop subir les vexations chicaneuses de son
geôlier français.

MARCHANDISE EN TEMPS DE GUERRE
L’arrivée des deux fils aînés à l’Ile de France, Johann Jacob Wiehe
(1772-1832) et August Frederick (1773-1817) en août 1792 sur le Bailli
de Suffren ne s’explique ni par la plantation – la culture de la canne y est
alors marginale, ni donc a fortiori par la production de sucre, ni non
plus par la traite négrière, plutôt par le désir de commercer avec l’Inde
(il s’embarque pour Tranquebar en 179724) et de profiter, en tant que ressortissant
d’un pays neutre, des multiples occasions de faire le négoce avec
l’une et l’autre de ces deux nations désormais belligérantes pour deux décennies,
la France et la Grande-Bretagne.
En fait, la stratégie d’enrichissement dans les îles de l’Océan Indien
semblait bien connue des marins et sa description par Tombe décrit les
motivations et la chronologie de la venue des frères Wiehe :
En temps de guerre, il arrive une grande quantité d’Africains; il vient aussi
des Danois et des Hambourgeois. […]
L’instant favorable pour vendre les denrées d’Europe est celui de la déclaration
de guerre. Le vin monte alors à 70 et 80 piastres la barrique; 5 à
6 mois après, il tombe à 30, 25 et 20 piastres, suivant la quantité qui se
trouve sur la place; il se relève ensuite à 30, et se soutient de 25 à 40.
Souvent les neutres, épouvantés par ces revers, s’absentent pendant 6 et 8
mois, et procurent un moment avantageux pour le bâtiment qui arrive
ensuite le premier.

PRISES À L’ENNEMI
Koenig nous décrit les activités de Johann Jacob Wiehe comme celles
d’un capitaine, ce qui paraît sujet à caution, puisqu’il est toujours désigné
comme négociant dans les textes; il agit bien plutôt comme armateur, représentant
local et associé d’une maison de commerce danoise de Tranquebar,
« Bohath Riston et Cie » et s’embarque pour faire du commerce
de « grand cabotage », c’est-à-dire la navigation dans un même océan.
Nous avons mention de sa présence sur un bateau danois faisant la
navette avec Tranquebar, la Charlotte, en 1797. Ce navire appartient toujours
à des Danois en 1805, comme l’atteste un témoignage de voyageurs
français restés bloqués dans une île proche de Ceylan. Johann Jacob
Wiehe agit aussi comme armateur quand il est adjudicataire d’un bateau
portugais saisi par Robert Surcouf, alors capitaine de la Clarisse, en novembre
1799 puisqu’il agit pour le compte de la maison de commerce danoise
à laquelle il est associé.

GROS ET DÉTAIL
En période de blocus, donc de pénurie, il est difficile aux habitants des
îles de rapatrier l’argent qu’ils ont gagné dans les métropoles; d’où une
sorte de frénésie de consommation de produits de luxe et de colifichets
que décrit bien Tombe dans les toutes premières années du 19e s.
Ce commerce a de nombreuses contraintes : il s’agit de vendre vite, y
compris à pertes, en faisant des « coups », d’où une nécessaire présence
sur place et une attention soutenue à toutes les nouvelles dont bruit le
port : nous savons que Johann Jacob Wiehe habite rue de l’Hôpital (actuelle
rue Pasteur) en 1801, sans plus de précisions; il est probable que
cette maison soit sur le lieu-même de son négoce, comme ce sera le cas
dans les années 1820 (voir infra)

co-authors:

Stephane Sinclair (left) & Johann Wiehe

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© Mauritius Mag

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